Le marché de la Darse est en pleine effervescence, Marie et Rousseau décident d’y faire un tour, histoire de se changer les idées. Les marchands ont déjà été confrontés, en début d’année, à un meurtre à proximité de leurs étals, lors de l’affaire des chiens. Ils ne s’étonnent donc pas outre mesure du dispositif de sécurité mis en place par la Police, quelques mètres plus loin. La place est régulièrement le théâtre de crimes et autres trafics en tout genre, même si leur nombre a fortement régressé depuis quelques mois, grâce, notamment aux Gwada Cops. Voilà pourquoi lorsque Rousseau et Kancel apparaissent dans les travées du marché, ils sont accueillis sous les vivats de la foule. Ils en sont d’ailleurs les premiers surpris. Les nombreuses questions et les demandes d’autographes qui fusent de la part de leurs fans les déstabilisent. Rousseau se montre dur et distant, voire menaçant, mais ça ne fait qu’accentuer son charisme auprès de ses admirateurs. Quant à Marie, elle doit rappeler à certains pseudo-courtisans qu’elle est une représentante des forces de l’ordre. Ceux-ci battent en retraite dès qu’elle fronce les sourcils et menace de balancer des atémis à la gorge des plus entreprenants. Désireux d’être bien vus par leurs héros, certains marchands proposent gratuitement aux policiers leurs plus beaux produits : madère, igname, poyos , fruits à pain, cannes à sucre. Si au départ, ils refusent catégoriquement, un produit attire tout particulièrement l’attention de Marie. Elle s’approche du marchand, incrédule, et l’interpelle : « Dites-moi, je ne pense pas que ce soit la saison du crabe. » Comme le veut la tradition, les crustacés sont ligotés les uns aux autres à l’aide de tiges de végétaux, formant littéralement des grappes de crabes. En temps normal, c’est surtout pour Pâques que l’animal est consommé. Durant cette période, lorsque le Métropolitain se bat pour ravir au boucher son dernier gigot d’agneau, l’Antillais jette son dévolu sur ces grappes de crabes qu’il est parfois prêt à payer au prix fort. Le marchand, un vieil homme portant un bakoua rapiécé, balbutie quelques mots en créole avant d’être interrompu par Marie : « J’ignorais également que les touloulous étaient comestibles. » Rousseau s’étonne : « Bien sûr qu’ils le sont, Marie, seulement ce ne sont pas les plus prisés par les Guadeloupéens. Nous leur préférons le crabe de terre, le crabe à barbe et même le crabe Sémafot » C’est en énumérant la liste des crustacés que l’inspecteur est pris d’une soudaine intuition. Il s’approche du marchand en plongeant sa main dans sa veste. Le pauvre homme prend peur et balbutie en créole qu’il sait bien que la chasse aux crabes est réglementée, que ce n’est pas le bon moment, que nous sommes loin de la période de Pâques, mais qu’il doit nourrir sa famille. Il supplie Rousseau de ne pas lui mettre une amende ou de l’emmener au poste. Mais à sa grande surprise, c’est un billet de 15 euros que lui tend l’inspecteur. « Donne-moi deux grappes ! » lui ordonne-t-il Pris de court, le vieillard met un certain temps à s’exécuter, même soulagé de ne pas finir derrière les barreaux. Il a tout de même le cran d’indiquer au policier que le prix qu’il a payé est incorrect de 5 euros. Un regard appuyé de Rousseau suffit à lui faire accepter la monnaie.
L’inspecteur observe attentivement les touloulous. Il juge de leur vivacité en tâtant leurs yeux cylindriques. « Je crois savoir ce que vous avez derrière la tête. » lui dit Marie — Et je sais que vous voyez juste. — Dans ce cas, c’est maintenant qu’il faut se rendre à l’hôtel, tout le monde est en train de vider les lieux — Ne perdons pas une minute, c’est peut-être notre dernière chance de coincer le tueur. Les pauvres crabes agitent les yeux, comme s’ils avaient compris où Rousseau voulait en venir.
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