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Chameleon (4 ème du concours de nouvelles Librinova)

Chameleon

Elle hésita puis cliqua sur « envoyer »…

La nouvelle allait très certainement faire l’effet d’une bombe, qu’importe, c’est le but.

Yuriko clique sur le dossier messages envoyés de sa boîte aux lettres électronique, puis sur le mail qu’elle vient de diffuser. Elle passe au crible la liste des destinataires, parfait, elle n’a oublié personne.

La journaliste s’affale dans sa chaise puis lève les yeux au plafond avant de les fermer en soupirant, longuement. La tension tombe peu à peu, ses épaules se relâchent.

Elle s’efforce de croire que son action est juste, mais voilà, petit à petit le stress revient à la charge et elle ressent cette boule dans son estomac. Elle a peur.

Yuriko regarde nerveusement l’écran de son ordinateur portable. Le dossier boîte de réception est vide, pour le moment. Elle déglutit, son rythme cardiaque s’accélère, ses mains tremblent.

Elle sursaute en poussant un petit cri ! Son smartphone ! Elle l’avait carrément oublié celui-là ! Logé dans la poche de sa veste, il se rappelle à son bon souvenir en vibrant bruyamment, un comble pour un appareil placé en mode silencieux.

Elle le saisit nerveusement et observe la photo révélant l’identité de l’appelant. C’est la photo de Marc, son petit ami. Elle pousse un soupir de soulagement et presse le bouton haut-parleur de son téléphone.

La voix au bout du fil résonne alors dans la petite pièce, une voix nerveuse et apeurée.

« Yuriko ! Mais qu’est-ce que tu as fait ? »

Elle est surprise, comment peut-il déjà être au courant ?

« Je…je.. » bafouille-t-elle

— Bon sang ! On s’était mis d’accord : tu ne devais en piper mot à personne !

— Mais je n’ai rien dit à personne ! J’ai juste envoyé un mail !

— Ne joue pas avec les mots veux-tu ? Tu nous as tous mis dans la mouise !

— Mais enfin, Marc, calme-toi ! Que pourrait-il nous arriver ?

— Ils sont tout puissants, Yuriko, tu n’imagines pas à quel point !

— Je le sais, mais tout de même pas au point de représenter une menace pour nous ! Nous sommes nombreux ! Nous sommes forts !

— Ce ne sont pas forcément les plus nombreux les plus forts. Ils savent manipuler les médias, ils ont accès à nos données personnelles ! Te rends-tu seulement compte de ce que tu as fait ?

— Les gens doivent savoir, Marc, ils doivent savoir ! L’assassinat de François De Berre…l’assassinat de notre président…ils ont tué notre président !

— Chut ! Tais-toi ! Pas si fort ! Ce n’était pas à toi de le révéler, Yuriko, tu es une proie trop facile pour eux ! Dans le meilleur des cas, ils vont ternir ta réputation de journaliste. Ta crédibilité va en prendre un coup ! Dans le pire…

— Dans le pire, quoi ? Ils vont me tuer ?

La journaliste rit doucement, mais son petit ami, lui, garde le silence

« Marc ? Tu es toujours là ? »

Pas de réponse.

« Allo ! Marc ? »

Silence complet.

Yuriko jette un œil à son téléphone, il s’est éteint. Elle aurait juré que sa batterie était encore pleine quand elle a répondu à l’appel. Elle se lève, puis va rapidement brancher l’appareil sur secteur, avec difficulté. Ses doigts tremblent toujours autant. Elle doit vite rappeler Marc pour le rassurer, mais aussi, dans un sens, pour SE rassurer.

Le smartphone reste désespérément éteint, que se passe-t-il ? Il n’y a plus de courant ? Non, son ordinateur et le plafonnier sont toujours allumés, il ne s’agit pas d’une panne générale.

La jeune fille regarde par la fenêtre, les lumières de la ville sont vives. Les enseignes lumineuses martèlent leurs slogans et mettent en valeur marques et logos.

Elle décide de changer de prise, il doit forcément y avoir un souci. Un quelconque court-circuit aura neutralisé le dispositif électrique, c’est certain !

Elle connecte le chargeur de la batterie, aucun signal lumineux. Ce n’est pas possible.

Yuriko branche sa lampe de bureau sur les prises récalcitrantes et presse l’interrupteur, elle fonctionne. C’est donc son smartphone qui a rendu l’âme.

Alors qu’elle se creuse les méninges, à la recherche d’une explication rationnelle, un discret signal sonore, émis par son PC, lui annonce l’arrivée d’un nouveau mail.

Il est suivi d’un second signal, puis d’un troisième. Très vite, la multiplication des signaux intrigue la jeune femme.

Elle se penche d’abord vers son ordinateur en plissant les yeux, puis finit par s’asseoir.

Le premier message a pour expéditeur Marc. Il s’est certainement rendu compte que la conversation téléphonique avait été interrompue et lui envoie probablement un mail, dans le but de la rassurer.

La journaliste note cependant que le message n’a pas d’objet, mais qu’une pièce jointe particulièrement volumineuse lui est rattachée. Elle a un mauvais pressentiment et se mord la lèvre. Son rythme cardiaque s’accélère tandis qu’elle ouvre le mail puis double-clique sur le document attaché.

Yuriko hurle ! Un frisson court le long de son épine dorsale, elle est prise de nausée ! Les larmes abondent en sillonnant ses joues rosies.

Il s’agit d’une photo de Marc, en gros plan. Il est allongé sur le sol, baignant dans une mare de sang. Ses yeux sont exorbités et un trou béant lui déforme le front.

La jeune femme porte la main à sa bouche tout en se levant et en reculant lentement, avec effroi.

« Ce n’est pas possible ! Ce n’est pas possible ! sanglote-t-elle, non ! Pas Marc ! »

Elle est paniquée. Cette panique s’accentue quand elle constate que le curseur de sa souris se déplace tout seul.

Dans un accès de rage, elle bondit vers son PC, saisit le petit périphérique et tente de cliquer sur la croix de la visionneuse d’image. Elle veut faire disparaître, à jamais, cette vision macabre !

Mais, peine perdue, la journaliste a beau s’acharner sur le bouton, le visage sanguinolent de son petit ami apparaît toujours à l’écran. Elle a l’impression que Marc la fixe, en suppliant, c’est horrible !

Impossible de fermer cette fichue fenêtre, même le raccourci clavier est inopérant. Yuriko en deviendrait hystérique !

Elle essuie ses larmes, d’un revers de manche. C’est à cet instant que les haut-parleurs de son PC grésillent longuement avant d’émettre un son strident.

La jeune femme se bouche les oreilles, effrayée. Le hurlement mécanique cesse alors que l’écran s’éteint brutalement avant de se rallumer progressivement, affichant un étrange personnage sur fond blanc.

C’est un être vêtu d’un froc noir. Il a la tête baissée et le visage dissimulé sous une large capuche. Ses bras, qu’il tient le long du corps, semblent interminables. Ses mains sont masquées par d’amples manches évasées.

Une voix, sa voix, masculine et caverneuse, résonne dans la pièce :

« Bonsoir, Mademoiselle Takashi. »

Yuriko se fige sur place. Comment peut-il connaître son nom ? Elle garde les yeux rivés sur l’écran. La voix se fait de nouveau entendre :

« Bien. Vous devez très certainement vous demander à qui vous avez à faire ? »

À vrai dire, ce n’est pas la première question qui taraude la journaliste.

« Marc ! Dites-moi ce que vous avez fait à Marc ! » demande-t-elle.

Un rire à glacer le sang se répand dans la pièce, il semble surgit d’outre-tombe.

« Question complètement idiote, Mademoiselle Takashi. Elle appelle une réponse affublée du même qualificatif désobligeant : nous avons, en quelque sorte, joué à la roulette russe lui et moi. Dieu merci, c’est moi qui l’ai emporté ! »

Rire sardonique. Yuriko est atterrée.

« Vous l’avez tué ! Vous êtes un monstre ! »

— Voyons, je suis navré que votre ami ait perdu…la tête !

La jeune femme ne goûte guère à l’humour noir de l’homme mystérieux. Inquiète, elle pose LA question :

« Qui êtes-vous ? »

— Vous êtes curieuse, Mademoiselle Takashi, trop curieuse. Mais comment pourrions-nous vous en vouloir ? Après tout, vous êtes journaliste.

— Vous faites allusion à mon mail, c’est ça ?

— Quelle perspicacité, Yuriko ! ironise l’être noir, c’est, en effet, votre courriel – pardonnez-moi, mais les anglicismes m’ulcèrent – qui nous a quelque peu contrariés, mes collaborateurs et moi-même.

Le mystérieux personnage s’anime au rythme de ses paroles, dodelinant de la tête et déplaçant ses bras avec grâce. Son visage reste dissimulé dans l’ombre. Il ne lui manque plus que la faux pour accessoire et il pourrait personnifier la Mort.

« C’est vous qui avez tué le président, n’est-ce pas ? » demande la journaliste.

— Décidément, vous êtes surprenante, Yuriko. En effet, nous avons dû mettre fin à notre collaboration avec votre élu. Ses idées et ses projets nous posaient problème. Il n’est jamais très bon de bousculer l’ordre établi, voyez-vous. Nous avons d’abord tenté de lui faire entendre raison, avec courtoisie, bien entendu. Un président a tout de même droit à tous les égards.

— Mais vous avez fini par le tuer !

— Aussi étrange que cela puisse paraître, il n’était pas favorable à une poursuite de notre collaboration.

— C’est ignoble ! Vous l’avez abattu froidement d’une balle dans le dos !

— Cela n’était pas très noble de notre part, il est vrai. Cependant, si je puis rectifier vos dires, il ne s’agissait pas d’un projectile.

— Je sais tout de vous ! Vous êtes un membre de l’organisation terroriste Chameleon. Votre but est de servir les grandes multinationales. Vous êtes responsables de a majorité des conflits qui touchent notre monde !

— « Terroriste » dite-vous ? Ne nous méprenons pas.

— Alors qui êtes-vous ? Des utopistes ? Des chevaliers de l’ordre et de la morale ? Les Illuminati ?

Yuriko a prononcé cette dernière phrase en appuyant sur chaque syllabe. Elle se moque ouvertement de son interlocuteur cherchant à lui faire perdre patience et, peut-être, lui révéler enfin qui il est.

La réponse de l’homme sombre la déstabilise :

« Nous étions déjà présents alors que vos aïeux tentaient, avec la lourdeur qu’on leur connaît, de se mettre debout. »

Alors que la journaliste pouffe de rire, un rire spontané et nerveux, l’inconnu renchérit :

« Nous vous trouvions amusants, au départ, et puis vous avez percé certains mystères, résolu certaines énigmes. Vous avez notamment commencé à manipuler l’atome et le maîtriser, contre toute attente ».

— Attendez, vous voulez dire que vous étiez là avant même que le monde soit monde ?

— Le monde ne tourne pas autour de vous, chère amie. Vos semblables et vous avez tendance à le penser, voire, à vous l’imposer. Votre arrogance n’a d’égale que votre entêtement dans l’erreur. Mais, veuillez m’excuser, je palabre, or, il est temps d’en finir.

— D’en finir ?

— Vous êtes très forte, Mademoiselle Takashi. Nous aurions pu juste vous discréditer en tronquant votre rapport et en vous faisant passer pour une illuminée, mais vous aviez beaucoup de soutien. Il serait regrettable que notre action soit rendue publique, et ce, même si les médias sont à notre botte. Chameleon a beau tout contrôler, il arrive que certains d’entre vous échappent à notre vigilance.

— Vous êtes donc bien membre d’une organisation terroriste ?

Pour la première fois, l’irritation se fait entendre dans la voix de l’homme en noir.

« Nous ne sommes pas des terroristes, dit-il, notre but n’est pas d’instaurer le chaos ou la peur par des actes de destruction. Nous ne cherchons pas non plus à étendre une idéologie, non. Ce que nous voulons, chère Yurko, c’est…ne rien changer. »

— Ne rien changer ?

— Nous souhaitons que vous persistiez dans l’erreur, que vous continuiez sur votre lancée.

— Notre lancée ?

L’homme s’impatiente, son timbre de voix s’en ressent et à l’écran il s’agite davantage.

« Continuez à consommer ! Continuez à ne pas penser ! Continuez à véhiculer la peur ! Vos craintes nous nourrissent et votre absence de jugement nous facilite grandement la tâche ! »

— Je commence à comprendre ! Le président dénonçait nos habitudes de surconsommation. Il voulait en finir avec ce qu’il considérait comme le véritable fléau de notre siècle et avait entamé de nombreuses réformes en ce sens.

— C’est cela. Au départ, nous nous gaussions. Nombre de ses homologues s’étaient engagés dans la même voie avec, systématiquement, des échecs retentissants. Les populations sont retorses à tout changement. Mais votre président avait réussi à faire passer son message. Il devenait trop dangereux. Nous avons dû l’éliminer, lui, mais aussi tous les vôtres, Mademoiselle Takashi.

— Les miens ? Que voulez-vous dire ?

En guise de réponse, l’écran s’éteint un court instant pour se rallumer sur la photo d’un cadavre.

Yuriko a un haut-le-cœur et porte de nouveau la main à sa bouche, c’est le responsable de la rédaction, son supérieur hiérarchique !

Les photos défilent les unes après les autres. Sur chaque cliché, une personne apparaît allongée à même le sol, un trou béant au beau milieu du front, les yeux exorbités. La voix caverneuse énumère systématiquement le nom de chacune des victimes, tandis que Yuriko réprime un sanglot, recroquevillée sur elle-même. Ses collègues ont tous subi le même sort que Marc.

L’homme ricane avant d’avouer :

« Je ne vais pas vous mentir, ils ont souffert. L’adrénaline leur donne un goût si particulier ! »

La journaliste n’en croit pas ses oreilles.

« Vous les avez…dévorés ? »

— Vous êtes perspicace, mais pas observatrice. Notez que leurs corps sont intacts, si ce n’est leur crâne, légèrement entamé.

— Vous êtes malade !

Le rire sardonique la fige littéralement sur place.

« Le prochain cliché devrait vous plaire, reprend l’homme sombre, il s’agit de l’une de vos meilleures connaissances et de notre dernière cible ! »

Cette fois, Yuriko se dresse, poings serrés. L’image s’affichant à l’écran la représente allongée sur le tapis de la pièce où elle se trouve, yeux fermés. Mais elle n’est pas mutilée comme l’étaient ses collègues et amis.

L’être lui dit :

« Un détail fait défaut, nous ne sommes pas totalement en accord avec les photos précédentes. Permettez-moi donc de vous rendre visite, Mademoiselle Takashi. »

– Me rendre visite ?

— Oui. Ne vous en faites pas, nous avons un minimum de savoir-vivre et d’éducation. Je prendrai le soin de m’essuyer les pieds sur votre joli paillasson.

L’écran clignote encore une fois pour afficher le mystérieux personnage. Mais, peu à peu, le décor fond pour révéler une allée sombre.

Yuriko reconnaît les lieux, il s’agit du hall menant à son appartement. L’homme sombre se dirige vers ce que la jeune fille devine être sa porte d’entrée.

Les haut-parleurs de son PC se font toujours les relayeurs de la voix caverneuse :

« Vous seriez un ange si vous pouviez m’ouvrir la porte, Yuriko. »

La jeune femme sent son cœur faire des bonds dans sa poitrine, elle hurle :

« Allez au diable ! Allez au diable ! Vous entendez !? »

Pendant quelques secondes, le silence règne. Il est rompu par la respiration rauque de l’homme sombre qui inspire puis souffle :

« Le diable lui-même est des nôtres… »

La sonnette de la porte résonne, faisant sursauter Yuriko. Son regard se pose sur l’écran du PC où elle voit l’être noir posté devant sa porte. Il lève sa main vers l’interrupteur situé à hauteur de poitrine.

Deuxième sonnerie. La journaliste domine sa peur et fait quelques pas vers l’entrée. Elle regarde à travers le judas et constate, avec effroi, que l’homme se trouve bel et bien sur le pas de sa porte. Il lui fait signe de la main.

« C’est bien moi, Yuriko, veuillez m’ouvrir je vous prie. »

C’est étrange, la voix est toujours issue des haut-parleurs, elle ne provient pas du hall.

La jeune femme recule puis court, effrayée, vers sa cuisine. Elle fouille dans un tiroir avant d’en extraire un couteau à la lame démesurée.

Le pêne de la porte d’entrée claque une première fois.

La journaliste éteint la lumière de la cuisine et se cale dans un coin en portant l’arme blanche des deux mains, à hauteur d’épaules, bras tendus face à elle. Elle est prête, du moins, s’efforce de le croire.

Nouveau claquement, la porte s’ouvre dans un long grincement.

Yuriko est fébrile, elle a des sueurs froides. Elle se tient face à l’encadrement de la porte de la cuisine, tremblante et le souffle court. Des pas traînants se font entendre dans le salon, ils se rapprochent. Elle fixe l’ouverture, refusant de la quitter des yeux tandis que les pas, lents et assurés, résonnent de plus en plus près. La jeune femme a mal aux yeux, elle les sent brûler dans leurs orbites. Elle ferme les paupières un court instant afin de soulager sa vision.

Quand elle les rouvre, l’homme sombre se trouve juste face à elle, à longueur de bras !

La journaliste hurle et plonge le couteau dans la robe noire de l’agresseur. Elle sent la lame pénétrer les chairs. Horrifiée par son geste impulsif, elle ramène l’arme blanche au niveau de sa poitrine. Il n’y a aucune trace de sang, elle recule, lentement.

L’homme penche sa tête sur le côté, impossible de distinguer son visage, toujours recouvert d’une capuche. Sa respiration est rauque. Dans le salon les haut-parleurs du PC grésillent :

« Vous avez frappé la première, Mademoiselle Takashi, je suis donc en droit de répliquer. »

Dans un geste désespéré, Yuriko lève son bras dans l’intention d’abattre une seconde fois le couteau sur l’assaillant. Mais celui-ci lui attrape vivement le poignet. Sa main est froide est rugueuse.

Une bousculade s’en suit et les deux protagonistes finissent allongés dans le salon éclairé. L’homme se redresse vivement, le visage toujours masqué, mais, l’une des manches de son froc, relevée.

La journaliste est allongée sur le dos, bouche bée. Le bras nu de son agresseur révèle une peau reptilienne et une main pourvue de cinq doigts soudés entre eux et griffus.

Un rire d’outre-tombe résonne dans la pièce. L’homme n’est pas un être humain !

Il se jette sur la jeune femme, elle se débat et, dans la lutte, lui assène un violent coup de coude au visage.

Yuriko est horrifiée. Sous le choc, la capuche de son agresseur s’est relevée, révélant un visage recouvert d’écailles et pourvu d’yeux proéminents qui l’observent. Les globes oculaires se déplacent d’abord indépendamment dans toutes les directions avant de se focaliser sur leur proie.

Les mains griffues maintiennent la jeune femme au sol tandis que leur propriétaire penche sa tête juste au-dessus de la sienne.

Dans le salon, les haut-parleurs grésillent une dernière fois :

« Ne vous en faites pas, Mademoiselle Takashi. Vous avez, certes, été valeureuse mais je ne vais pas m’y prendre différemment avec vous. Qui sait ? Vous n’aurez peut-être pas le temps de ressentir la douleur. »

Yuriko se débat, hurle, secoue la tête en appelant à l’aide.

L’être est pourvu d’une gueule immense qu’il ouvre largement, révélant une langue cylindrique terminée en un cône extrêmement pointu.

La jeune femme pousse un cri au moment où le muscle rétractile est projeté vivement en avant et lui perfore le front.

Yuriko se redresse dans son lit, en sueur. Son réveil affiche 06 :31

Elle tourne la tête, Marc dort paisiblement à ses côtés. Elle ne peut s’empêcher de lui caresser la joue, il grogne, elle pousse un soupir de soulagement, quel cauchemar !

Impossible de se rendormir après ça, elle décide d’avancer son levé et d’aller prendre une bonne collation à la cuisine. Elle se jure que c’est la dernière fois qu’elle regarde une émission sur les mœurs des caméléons de Madagascar. La journaliste visualise son mauvais rêve et  a un frisson quand elle croit ressentir le contact de la langue de son agresseur sur son front, brrr !

Rassurée, elle sourit en s’installant à table avec un verre de jus d’acerola et des madeleines faites maison.

Un de ses cinq portables vibre brièvement sur le plan de travail, lui signalant l’arrivée d’un MMS. Elle peste en levant les yeux au ciel.

« Les affaires reprennent, ma vieille ! » se dit-elle.

Elle saisit le smartphone, l’expéditeur est inconnu. Elle ouvre le message et le lit :

Le président François De Berre a été retrouvé mort cette nuit, le dos perforé et vidé de son sang.

Yuriko sent le sol se dérober sous ses pieds.

Le message est suivi de la photo d’un homme vêtu d’un froc noir. Photo qui au bout de quelques secondes est remplacée par le commentaire suivant : avez-vous bien dormi, Mademoiselle Takashi ?

Le verre explose sur le lino de la cuisine.


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